Suzanne HANDMAN*
Chronique – Examen des modes privés de prévention et de règlement
Suzanne HANDMAN*
EYB2019REP2753 (environ 5 pages)
EYB2019REP2753
Repères, Mai, 2019
Suzanne HANDMAN*
Chronique – Examen des modes privés de prévention et de règlement
TABLE DES MATIÈRES
I – NATURE DE L’OBLIGATION DE PRENDRE EN CONSIDÉRATION DES MODES PRIVÉS DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
II – QUAND FAUT-IL ENVISAGER LA POSSIBILITÉ DE SE TOURNER VERS LES MODES DE PRÉVENTION OU DE RÈGLEMENT ?
III –RÔLE DE L’AVOCAT D’INFORMER SES CLIENTS DE L’OBLIGATION DE PRENDRE EN CONSIDÉRATION DES MODES PRIVÉS DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
IV– MÉTHODES DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Négociation
Médiation
Arbitrage
Autres méthodes de règlement des différends
V– AVANTAGES DES MODES DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Conclusion
Résumé
Le Nouveau code de procédure civile, en vertu de l’article 1(3), exige que les parties, avant de s’adresser aux tribunaux, envisagent d’autres modes de prévention ou de règlement de différends. Bien qu’il n’y ait aucune obligation de participer à de tels modes, les parties doivent prendre ces modes en considération, faute de quoi, l’omission peut être sanctionnée par les tribunaux. Par conséquent, les avocats sont alors tenus d’informer leurs clients de l’existence des modes alternatifs de règlement des différends, des options disponibles et de la nécessité d’envisager de tels moyens. L’auteur discute de cette obligation et de diverses questions connexes.
I – NATURE DE L’OBLIGATION DE PRENDRE EN CONSIDÉRATION DES MODES PRIVÉS DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Le Nouveau code de procédure civile a introduit plusieurs nouvelles dispositions relatives à la prévention et au règlement des différends. Le premier article du nouveau Code, entré en vigueur le 1er janvier 20161, stipule que « les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leurs différends avant de s’adresser aux tribunaux ».
Cette règle est conforme à l’approche de coopération préconisée par le nouveau Code. Il est entendu que les parties ne sont pas tenues de participer dans un mode privé de prévention ou de règlement des différends. L’unique obligation des parties est de prendre en considération une telle possibilité. 2
Il est important de se rappeler que le fait d’opter pour un mode privé de prévention ou de règlement d’un différend n’exclut pas la possibilité éventuelle d’intenter des poursuites judiciaires devant les tribunaux. Une partie qui tente de conclure une entente avec la partie adverse conserve le droit de recours devant les tribunaux dans le cas où la tentative de règlement n’aboutit pas.
La question de considérer d’autres modes de prévention ou de règlement des différends a été soulevée devant nos tribunaux lors de la demande de réparation d’une des parties suite à la non-considération ou au refus du mode de règlement privé par la partie adverse. La question a également été soulevée par les tribunaux, en particulier dans les affaires très acrimonieuses.
Dans Droit de la famille – 18727,3 l’une des parties a demandé le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires alléguant que la partie adverse avait refusé de soumettre leur litige à la médiation. Le refus était fondé sur la tentative de médiation des parties sans aboutissement dans le passé.
La Cour a conclu que, la médiation ayant été prise en considération, l’obligation prévue par le Nouveau code de procédure civile avait été respectée. Même si les parties sont tenues de considérer des modes appropriés de règlement de conflit, autres que par procès, les parties ne sont pas tenues d’opter pour un mode particulier de règlement des différends et ne sont pas tenues de conclure une entente dans le cadre d’un mode choisi. En somme, il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultats. 4
Toutefois, l’obligation de prendre en considération un mode de règlement des différends s’avère réelle. La Cour, dans l’affaire Adcom Construction inc. c. Lussier,5, a fait remarquer qu’aucune des parties n’avait examiné les modes privés de prévention et de règlement avant d’instituer les procédures devant la Cour et, compte tenu de ce fait, ainsi que d’autres faits, la Cour a rejeté la demande d’injonction interlocutoire provisoire.
De même, dans l’arrêt Perron c. Cyr,6, la Cour a noté que les principes directeurs du Code, à savoir l’exigence de proportionnalité et l’obligation de considérer les modes privés de prévention et de règlement, n’avaient pas été respectés. En l’espèce, la Cour a sanctionné le comportement des demandeurs par le refus de rembourser leurs frais de justice, refus permis par l’article 340 du Nouveau code de procédure civile.
II – QUAND FAUT-IL ENVISAGER LA POSSIBILITÉ DE SE TOURNER VERS LES MODES DE PRÉVENTION OU DE RÈGLEMENT?
Compte tenu du libellé du Nouveau code de procédure civile, l’obligation de prendre en considération les modes privés de prévention ou le règlement d’un différend à l’amiable survient initialement avant le dépôt de procédures. Toutefois, comme on peut le constater dans la jurisprudence citée ci-après, l’obligation a été considérée comme continue, si cela est justifié.
Nos tribunaux n’ont pas hésité à soulever la possibilité de régler un différend, même après le début d’une audience. Par exemple, dans le cas de Fagan c. Brunet,7, la Cour, notant la relation acrimonieuse entre deux voisins, a déclaré être consciente du fait que le jugement qui serait rendu ne résoudrait pas la relation houleuse des parties et que celles-ci se retrouveraient probablement devant les tribunaux dans les années à venir pour le traitement de revendications semblables. Dans ces circonstances, la Cour a invité les parties à soumettre leurs différends à des modes privés de prévention ou de règlement, conformément aux dispositions du Nouveau code de procédure civile.
La prise en considération d’un mode de prévention ou de règlement d’un différend doit avoir lieu non seulement avant le dépôt des procédures, mais également à un moment ultérieur s’il y a un changement de circonstances.
Dans l’affaire Bourque c. Dattilo8, où la partie demanderesse a demandé l’autorisation d’interjeter l’appel, l’honorable Manon Savard de la Cour d’appel a rappelé aux parties, tant au cours de l’audience que dans son jugement, la possibilité d’envisager un règlement à l’amiable de leur différend sans recours aux tribunaux. Le juge Savard a également souligné la déclaration faite par le juge Kasirer dans l’affaire Droit de la famille – 161435, à savoir que l’article 1 du Nouveau code de procédure civile encourage les parties non seulement à envisager la possibilité des modes privés de prévention et de règlement de leurs différends avant de s’adresser aux tribunaux, mais aussi à reconsidérer ces moyens lors de l’évolution d’un dossier.
En outre, des conférences de règlement à l’amiable, présidées par des juges, sont disponibles dans le système judiciaire après que des procédures ont été intentées. Le recours à ce mode de règlement alternatif des différends est volontaire et institué à la demande des parties. Malgré le fait que les tribunaux ne peuvent pas exiger des parties qu’elles participent aux modes de règlement, il existe des cas où nos tribunaux ont pris l’initiative et recommandé que les parties participent à une conférence de règlement à l’amiable.
L’honorable Babak Barin, dans l’affaire Houle c. Lafontaine, 9 statuant sur une demande du demandeur de déclarer le défendeur coupable d’outrage au tribunal, a conclu que l’outrage au tribunal avait été commis. Le juge Barin a suspendu l’imposition d’une sanction, tout en estimant que le litige de diffamation entre membres de la famille devrait être réglé sans délai. Le juge Barin a déclaré que la Cour ne pouvait pas obliger l’une des parties à participer à une conférence de règlement à l’amiable, mais il a néanmoins fortement recommandé une telle participation.
III– RÔLE DE L’AVOCAT D’INFORMER SES CLIENTS DE L’OBLIGATION DE PRENDRE EN CONSIDÉRATION DES MODES PRIVÉS DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Dès la consultation initiale d’un avocat par un client, qu’il s’agisse d’intenter une poursuite ou de se défendre contre les poursuites engagées contre lui ou simplement de rechercher des conseils se rapportant à un conflit avec une autre partie, le moment est opportun pour l’avocat, non seulement d’expliquer les aspects juridiques de l’affaire du client, mais aussi d’informer le client de l’obligation légale du client de prendre en considération d’autres modes de règlement des différends avant d’instituer des procédures et de l’informer également des options qui existent à cet effet.
L’article 1(3) du Code prévoit un nouveau rôle pour un avocat. Comme l’a déclaré la Cour dans l’arrêt St-Denis c. Ferme Éric Sépul10 en citant les commentaires du ministre de la Justice :
La disposition devrait, en raison de son caractère impératif, entraîner un changement important dans le rôle des juristes qui devraient désormais présenter à leurs clients un ensemble de possibilités pour le règlement des conflits.
En fournissant l’information, l’avocat doit présenter les modes de règlement des différends à son client et expliquer la nature et les avantages de chacun. L’article 1(2) du Nouveau code de procédure civile énumère les principaux modes privés de prévention et de règlement des différends comme suit :
Les principaux modes privés de prévention et de règlement des différends sont la négociation entre les parties, et la médiation et l’arbitrage, dans lesquels les parties font appel à l’assistance d’un tiers. Les parties peuvent également recourir à tout autre mode qui leur convient et qu’elles estiment approprié, que le mode emprunte ou non à la négociation, à la médiation ou à l’arbitrage.
IV– MODES DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Les caractéristiques essentielles des modes de prévention et de règlement des différends énumérées dans le Code sont les suivantes :
A. Négociation
La négociation consiste en des réunions informelles ou des discussions entre deux ou plusieurs parties en vue de modifier les relations de ces parties et de créer une base pour une relation future ou de résoudre une question existante à la satisfaction mutuelle des deux parties. Les négociations peuvent être menées par les parties elles-mêmes. Cependant, dans la plupart des cas, les parties sont représentées par leurs avocats, qui mènent les négociations. En général, un tiers n’intervient pas. L’accent devrait être mis sur les intérêts fondamentaux et la recherche d’options mutuellement satisfaisantes.
B. Médiation
La médiation implique l’intervention d’un tiers neutre qui aide les parties à communiquer leurs différentes perspectives et positions et les aide à résoudre leurs différends. Le médiateur, proactif pour ce qui est du processus, explore les intérêts et les besoins des parties, mais sans avoir le pouvoir d’imposer un règlement, ni même de déterminer l’issue du conflit. Bien qu’il existe différents modèles, le rôle du médiateur est d’aider les parties à trouver leur propre solution, une solution satisfaisante pour les deux parties.
C. Arbitrage
Autre moyen de régler les différends, l’arbitrage permet aux parties de choisir conjointement de soumettre leur conflit à la décision d’un arbitre ou des arbitres. L’arbitre qui préside l’audience est neutre et indépendant. Le mode est un mécanisme privé ad hoc qui est généralement spécialisé dans un domaine particulier comme les questions commerciales. L’autorité du tribunal d’arbitrage découle d’une convention d’arbitrage privée. Contrairement à la facilitation ou à la médiation, l’arbitrage est de nature contradictoire et se termine par une décision qui est exécutoire, à moins que les parties ne précisent clairement d’avance que la sentence arbitrale ne sera pas exécutoire. Le processus est semblable à un procès.
D. Autres méthodes de règlement des différends
D’autres modes existent, y compris la facilitation, moyen de prévenir les conflits qui implique un facilitateur et qui amène les groupes à travailler en meilleur collaboration dans l’atteinte d’un objectif commun. Une autre méthode est celle de Med/Arb qui combine les processus de médiation et d’arbitrage. D’autres modes de règlement des différends, entre autres, comprennent l’évaluation neutre précoce, le mini-procès, la coordination parentale et les cercles de détermination de la peine.
Comme nous l’avons déjà souligné, il existe également des moyens de régler les différends au sein du système judiciaire. Les conférences de règlement à l’amiable, qui sont semblables aux séances de médiation, sont présidées par des juges et offrent aux justiciables un autre forum d’accès à la justice. Ce processus vise à aider les parties à communiquer et à mieux comprendre leurs positions et intérêts respectifs et, en fin de compte, à parvenir à un accord satisfaisant pour régler leur conflit. Cependant, les parties ne peuvent avoir recours à ce mode de règlement des différends qu’après avoir intenté des procédures.
V– AVANTAGES DES MODES DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Il est primordial pour un avocat d’informer son client des avantages des modes de prévention et de règlement des différends. Ces avantages comprennent le caractère moins formel qu’un procès devant tribunal, la réduction de niveau de stress et des frais pour les parties. En outre, habituellement, les parties peuvent avoir recours à l’une de ces méthodes plus rapidement qu’à un procès. Dans le cas de la médiation, la confidentialité du processus intéresse souvent les clients, tout comme la possibilité de négocier une solution créative qui ne peut être ordonnée par les tribunaux.
En fin de compte, le choix d’opter pour un des modes de prévention ou de règlement des différends appartient au client. Cependant, il est important que le client comprenne ce qu’implique chaque option et qu’il fasse son choix après avoir été pleinement informé de ce qu’entraîne chaque mode.
Si le client décide qu’il n’est intéressé par aucun des autres modes disponibles de règlement des différends, mais qu’il préfère présenter sa cause devant la Cour, la seule obligation qui lui incombe est d’indiquer dans le Protocole sa prise en considération des modes privés de prévention et de règlement.
Malgré cette décision, comme cela est indiqué ci-dessus, les tribunaux peuvent néanmoins recommander au justiciable de reconsidérer sa décision et de tirer parti de ces processus ou de participer à une conférence de règlement à l’amiable.
Conclusion
En résumé, les dispositions du Nouveau code de procédure civile encouragent les parties à régler leurs différends par des modes de règlement des différends avant de recourir aux tribunaux. Les parties ne sont pas tenues de le faire, mais elles sont dans l’obligation de prendre en considération de tels processus. À cet égard, le rôle de l’avocat dans l’application de l’article 1(3) du Nouveau code de procédure civile est de s’assurer que son client ait pris conscience de ses obligations légales ainsi que des options qui s’offrent à lui.
* Suzanne Handman, juge à la retraite de la Cour du Québec, Médiatrice.
1. CQLR, c.C-25.01.
2. Municipalité de la paroisse de Plessisville et Ville de Plessisville, 2018 CanLII 117869 (QCCMNQ).
3. 2018 QCCS 1435, EYB 2018-292955 .
4. Duclos c. 9157-4863 Québec inc. (Perez International), 2017 QCCQ 14807, EYB 2017-289247 .
5. 2017 QCCS 576, EYB 2017-276451 .
6. 2018 QCCQ 1950.
7. 2015 QCCQ 13239.
8. 2017 QCCA 161, EYB 2017-275816 .
9. 2017 QCCS 3036, EYB 2017-282092 .
10. 2018 QCCS 744, EYB 2018-291082 .
Date de dépôt : 1 mai 2019
JUSTICE SUZANNE HANDMAN
La juge Suzanne Handman a obtenu un B.Sc. à l’Université McGill, une maîtrise en orthophonie et audiologie à l’Université de Montréal et, après des études de troisième cycle à l’Université Northwestern, à Chicago, elle devient chef de la clinique de la parole et de l’audition à l’hôpital Maisonneuve-Rosement. Elle est par la suite devenue professeure agrégée, dans son domaine, à l’Université de Montréal.
Son implication dans la formation d’un syndicat pour les professeurs de l’Université de Montréal l’a amenée à changer de carrière et à se lancer en droit, à devenir avocate en droit du travail. Elle a obtenu un diplôme en droit de l’Université de Montréal en 1979 et s’est jointe au cabinet Trudel Nadeau et associés. Elle est devenue par la suite associée.
En 1994, la juge Handman a été nommée vice-présidente du Conseil canadien des relations du travail à Ottawa et en 2000, elle a été nommée juge du Tribunal du travail du Québec. Lorsque cette Cour a été abolie, elle a été transférée, en 2005, à la Chambre civile de la Cour du Québec.
Elle en est actuellement membre à la Cour du Québec, où elle préside les affaires civiles et les conférences de règlement. Elle est également membre du comité du Barreau de Montréal «Comité sur l’accès à la justice en langue anglaise», à titre de représentante de la Cour du Québec.
La juge Handman a donné des conférences sur la médiation à Montréal et à l’étranger et elle enseigne des techniques de médiation sur une base annuelle, principalement en Europe, à des juges, des avocats et des médiateurs. Elle est membre du conseil d’administration de la Conférence internationale de médiation pour la justice et participante active au Groupement Européen des Magistrats pour la Médiation.