LA TENTATIVE DE MEDIATION PREALABLE OBLIGATOIRE (TFMPO)[1]
Par Béatrice BLOHORN-BRENNEUR, Magistrat honoraire, Président de GEMME et de CIM, ancienne médiatrice du Conseil de l’Europe
LA LEGISLATION
En France, la loi de modernisation de la justice du 18 novembre 2016 a prévu une obligation de tenter une résolution amiable du litige avant de saisir le tribunal, pour les litiges d’un montant inférieur à 10 000 € et pour les conflits de voisinage.
L’article 7 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXIe siècle, a également instauré, à titre expérimental, une tentative de médiation familiale obligatoire, à peine d’irrecevabilité : la première rencontre de médiation est obligatoire. Après cette rencontre, les parties décident de poursuivre ou non la médiation.
L’expérience est mise en place au sein de 11 juridictions françaises.
L’expérience s’achève au 31 décembre 2019, mais son prolongement pour un an est envisagé.
DOMAINE D’APPLICATION
La loi sur la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TFMPO) s’applique lorsqu’une partie veut faire modifier une précédente décision du juge aux affaires familiales ou une disposition insérée dans une convention homologuée par le juge.
Les demandes concernées sont celles portant sur :
- Le lieu de résidence habituelle des enfants
- Le droit de visite et d’hébergement
- La contribution à l’éducation et à l’entretien des enfants mineurs
- Les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale pouvant être prises par le juge (par exemple : décision sur le lieu de scolarité)
DISPENSE DE LA TENTATIVE DE MEDIATION FAMILIALE PRÉALABLE OBLIGATOIRE.
Les personnes sont dispensées de recourir à ce processus dans les cas suivants :
- Requête des deux parents sollicitant l’homologation d’une convention d’accord parental
- Violences commises par l’autre parent
- Motif légitime apprécié souverainement par le juge (éloignement géographique, maladie..) En ce qui concerne l’éloignement géographique, on peut y remédier par la médiation à distance qui est fréquente pour la médiation familiale internationale.
MISE EN ŒUVRE
- La tentative de médiation doit avoir lieu avant de déposer la requête pour faire modifier une précédente décision.
- Le greffe du tribunal :
- Tri les dossiers éligibles,
- Convoque les parties à des rendez-vous de médiation
- Remet aux parties une liste des médiateurs familiaux ayant signé une convention avec le tribunal (rôle de l’Union Départementale des Associations familiales, UDAF)
- Convoquer à l’audience d’homologation ou de jugement
- Vérifie qu’il y a le certificat délivré par l’UDAF
LES MEDIATEURS
Il est fait recours à des :
- Médiateurs libéraux ou salariés ayant ou non signé une convention avec le tribunal
- Médiateurs issus de la profession d’avocat
LE COÛT
Les entretiens d’information et de médiation sont gratuits.
Inconvénient : le fait de ne pas payer ces entretiens rend les personnes davantage passives et moins prêtes à s’engager dans un processus long dont elles ne voient pas l’intérêt.
RÉDACTION DES ACCORDS
Certains médiateurs familiaux considèrent que ce n’est pas leur rôle de rédiger les accords. C’est aux avocats ou aux parties de le faire, ce qui impose la présence d’un avocat dans des affaires qui en sont dispensées.
Pour permettre l’homologation des conventions soumises au juge, sans audience et éviter le refus d’homologation pour non-conformité des contenus, des tribunaux proposent des trames d’accords parentaux.
SANCTION DU DÉFAUT DE TENTATIVE DE MÉDIATION
Si une des parties ne présente pas l’attestation prouvant qu’elle a tenté une médiation familiale, le juge pourra déclarer d’office sa demande irrecevable.
La recevabilité doit s’apprécier au moment du dépôt de la requête.
Des juges rendent des décisions d’irrecevabilité. Jusqu’à présent, il n’y a eu aucun recours contre ces décisions.
Mais certaines juridictions ont fait le choix de considérer que le dossier est recevable même si la rencontre de médiation a eu lieu entre le dépôt de la requête et l’audience.
D’autres juridictions, en l’absence de rencontre de médiation, ont préféré renvoyer les parties devant le médiateur pour la régularisation de la procédure.
Plusieurs juridictions estiment que si l’expérience devait être généralisée, il faudrait se placer à la date de l’audience pour apprécier la recevabilité de la requête.
RESULTATS DE L’ENQUETE FAITE EN 2018, SUR 6 MOIS
- À l’issue de cette « rencontre » obligatoire environ 49 % des parties décident de poursuivre la médiation (51% ne veulent pas entrer en médiation)
- Les accords obtenus dépendent de la qualité des médiateurs
Certains médiateurs et associations de médiateurs ne dépassent pas 25 % d’accords, d’autres obtiennent 70 % d’accords.
La moyenne nationale est de 53 % d’accords pour ceux qui décident de continuer en médiation, soit 26 % environ sur le total des situations où les deux parties rencontrent le médiateur.
72 % des accords portent sur la totalité du contentieux. 28 % des accords sont partiels.
RÉSULTATS CONCERNANT LES JUSTICIABLES :
- Même lorsqu’il n’y a pas eu d’accord, la tentative de médiation a eu pour résultat de réintroduire le dialogue parental lorsqu’il n’existait plus ou de l’apaiser lorsqu’il était très tendu.
- L’adhésion au processus de médiation est plus facile lorsque que c’est le juge qui fait injonction d’aller s’informer sur la médiation, car alors « la parole du juge est entendue ». Lorsque c’est un simple courrier qui leur enjoint de recourir à la médiation, le fait de ne pas être entendu par le juge génère une frustration psychologique : des justiciables se positionnent en tant que « victimes » d’un conflit et veulent que le juge les conforte dans leurs droits. Ils voient la médiation comme un obstacle à franchir aussi vite que possible pour déclencher la procédure tant attendue que cette mesure ralentit. Ils vont au tribunal pour voir le juge. C’est l’incompréhension de cette étape supplémentaire.
- Cette mesure permet à de nombreuses personnes de régler leur conflit amiablement, alors qu’elles n’auraient pas entendu parler de cette mesure si elles n’avaient pas été obligées de se rendre à cette rencontre de médiation.
Il arrive souvent que les personnes disent regretter de ne pas avoir connu la médiation plus tôt.
RÉSULTATS CONCERNANT LES ACTEURS DE LA MÉDIATION : greffe, juges, associations de médiateurs et avocats
- Il a été constaté un travail supplémentaire important pour les services du greffe (enregistrement des données).
Devant le Tribunal d’Evry, pour 1600 dossiers, il a fallu recruter 2,5 fonctionnaires supplémentaires.
- Les centres de médiation ont eu également un accroissement de travail. Les structures de médiateurs, lorsqu’elles étaient en nombre insuffisant, ont eu des difficultés à faire face à la demande de médiation. D’où un retard préjudiciable dans la mise en place des rencontres de médiation.
Les associations de médiation évoquent une transformation profonde de leur métier par l’introduction de 2 éléments nouveaux : la présence plus fréquente des avocats et surtout la gestion du temps : les médiateurs doivent être davantage disponibles pour des raisons de compatibilité des heures avec l’activité des justiciables (vendredi soir et samedi)
- La charge de travail du juge n’a pas été augmentée : au contraire, on constate un apaisement des aspects conflictuels, même si la médiation n’a pas abouti à un accord.
Mais ce sont les affaires les plus contentieuses qu’ils retrouvent aux audiences de jugement (journées plus denses, audiences plus longues et travail préparatoire plus chargé intellectuellement).
- Les avocats, initialement très opposés à la tentative de médiation familiale obligatoire, ont évolué : ils se forment désormais en élargissant leurs compétences professionnelles.
CONCLUSION
La généralisation de l’expérience française, espérée pour le 1er janvier 2020, n’a pas été encore décidée. L’expérience est prolongée pour un an.
On constate un changement de culture dans la manière de régler les conflits. Nous devenons autonomes, conscients de notre capacité à résoudre nous-mêmes nos conflits. Nous abandonnons notre situation de dépendance à l’égard de l’institution judiciaire vers laquelle nous courrions pour régler nos litiges. Cette émancipation marque le passage d’une communication « parent-enfant », à une communication « adulte-adulte ». Elle est promesse d’avènement d’une nouvelle ère où chacun devient responsable de lui-même, de son avenir et des liens qu’il souhaite tisser avec l’autre dans un rapport d’altérité. Nous nous réapproprions le pouvoir de gérer le cours de nos vies et découvrons, ce qui manque le plus à nos sociétés occidentales et individualistes, le sens de la solidarité et de la collectivité car nos décisions nous les prenons désormais en commun avec l’autre, dans le respect mutuel et l’intérêt de tous. Et dans cette ouverture à l’altérité, nous devenons artisan de paix.
La médiation nous contraint à vivre le moment présent et à faire un bilan du passé. L’Occident est peu enclin à cet arrêt du temps, et à ce retour sur le chemin parcouru. Préoccupés à faire des projets d’avenir, nous oublions de vivre le présent. La médiation permet cette réflexion sur notre relation au temps et notre manière de la vivre.
La médiation amène aussi à une autre réflexion sur nos institutions judiciaires. On a longtemps confondu but et moyen. On réalise aujourd’hui que le but suprême de la Justice n’est pas de dire le droit, ni de trancher les litiges. Ce ne sont que des moyens. La Justice doit tendre à contribuer à la paix sociale. Pour cela les juges avaient un moyen : le droit. Ils ont maintenant un deuxième outil, la médiation.
La médiation préalable obligatoire constitue un pas vers la construction d’un véritable droit à la médiation. Nous devons avoir accès à la médiation, comme on a accès au droit.
Cette mesure est appelée à un bel avenir. Cela suppose au préalable un changement de nos mentalités.
[1] Compte rendu de la journée de bilan relative à la tentative de médiation familiale préalable obligatoire – 15 mars 2019
Je remercie mes collègues, Jean-Pierre Franco, conseiller à la cour d’appel de Bordeaux, magistrat coordonnateur pour la médiation et la conciliation, Samuel Lainé, premier vice-président adjoint au Tribunal de Grande instance de Bordeaux, coordonnateur du pôle famille et Anne Gongora, président de chambre à la cour d’appel de Paris, de m’avoir communiqué le bilan provisoire de l’expérience de la TPMFO devant leur juridiction.